Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2 du nom du ministre de l'Économie et des Finances, a été adopté par l'Assemblée nationale le 8 novembre dernier. S'il faut saluer la création d'un répertoire numérique et public commun aux pouvoirs éxécutif et législatif, un long chemin vers davantage de transparence dans les relations entretenues en France par les représentants d'intérêts avec les pouvoirs publics reste à parcourir. 

 

Il est indéniable que l’action des groupes d’influence peut présenter un certain nombre d’avantages, notamment à l’égard de pouvoirs publics parfois perçus comme « déconnectés » des considérations humaines et quotidiennes des citoyens et/ou soumis au rythme effréné de l’action publique qui les contraint à répondre rapidement aux attentes des citoyens au détriment d’une réflexion substantielle. Par conséquent, la participation des groupes de pression à la prise de décision publique permet l’apport d’une expertise en provenance des parties prenantes au domaine, plus concernées et donc certainement plus avisées, bien qu’intéressées.

Néanmoins, l’influence des groupes de pression dans l’élaboration de la loi fiscale peut légitimement apparaître comme une confiscation de l’intérêt général au bénéfice de considérations privées, ce qui est d’autant plus vrai que plus les intérêts en jeu sont importants plus on observe que cette action s’opère dans l’opacité. En ce sens, l’absence de transparence des négociations autour du Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) a été en grande partie à l’origine de la forte opposition qui a été constatée dans un certain nombre de pays, dont la France. Or ces « tractations » qui sont menées par les lobbyistes avec les institutions publiques encouragent la démagogie et le populisme, eux-mêmes alimentés par une présomption, parfois avérée, de collusion des élites économiques et politiques. Cette défiance « entretenue » des citoyens français, dans le contexte économique et social actuel et à la veille des élections présidentielles et législatives, participe plus fondamentalement à la crise de nos institutions.

C’est pourquoi, si le lobbying peut représenter un apport à la prise de décision publique, et notamment financière, il convient de concilier son action, d’autant plus importante qu’elle s’est généralisée et professionnalisée, avec un certain nombre de principes et de règles qui régissent nos démocraties. On observe en outre en France que, contrairement à l’Union européenne qui constitue la deuxième place du lobbying au monde et où sa pratique est largement connue et pour une part intégrée dans le fonctionnement institutionnel de l’organisation, l’action des groupes d’intérêt n’est pas assumée par nos pouvoirs publics. Indiscutablement, elle s’oppose à la conception française de l’intérêt général.

La Haute Autorité de la transparence pour la vie publique française (HATVP) évoquait, sur la base des mesures prises depuis 2009 par l’Assemblée nationale et le Sénat, « un encadrement embryonnaire de l’activité́ des représentants d’intérêts ». Depuis lors, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2 du nom du ministre de l’Économie et des Finances, a été adoptée. Elle prévoit la création d’un répertoire numérique et public, sous le contrôle de la Haute Autorité, désormais commun aux pouvoirs exécutif et législatif. Les définitions des personnes désignées ont de part et d’autre été élargies. Des sanctions en cas de non respect des obligations édictées sont prévues. Pour Transparency International France, « malgré l’adoption d’une première forme de législation qu’il faut saluer, beaucoup de chemin reste encore à parcourir », notamment lorsqu’on observe les dispositifs d’encadrement du lobbying qui existent dans un certain nombre de pays1.

Parmi les pistes de réflexion à explorer, et comme l’avait proposé la Haute Autorité, la publication de l’empreinte normative de la loi et de règlement pourrait être envisagée. Elle aurait vocation à rendre plus transparente l’action des lobbyistes en renseignant le citoyen sur les interventions conduites par eux à tous les stades du processus de décision, de l’élaboration de la norme à son entrée en vigueur, y compris au niveau de son examen par le Conseil constitutionnel. On pense ici à l’absence de publication des « portes étroites ». Un tel mécanisme aurait permis ces dernières années de ne plus seulement « suspecter » mais d’avoir précisément connaissance des entreprises conduites par les groupes de pression, français ou étrangers d’ailleurs, vis-à-vis, entre autres, d’un certain nombre de dispositifs fiscaux: la baisse de la TVA sur la restauration, la suspension de l’écotaxe poids lourds, la renonciation à la taxe dite Nutella sur les produits contenant de l’huile de palme, la taxe sur les transactions financières, la taxe à 75% s’appliquant à la tranche des revenus supérieurs à un million d'euros, etc.

L’obligation de faire apparaître l’empreinte normative des décisions publiques est une voie de renforcement possible de l’encadrement du lobbying en France. Elle n’est pas la seule. Cependant, dans le contexte de défiance actuel des citoyens à l’égard du pouvoir et entretenue par un certain nombre d’ « affaires », la recherche d’une transparence accrue de la pratique du lobbying en France ne peut être plus longtemps éludée. Plus largement, et comme en témoignent les trop nombreux conflits d’intérêt dévoilés ces derniers mois au niveau de l’Union européenne - on note d’ailleurs la proposition de la Commission européenne relative à un registre de transparence obligatoire du 28 septembre 2016 -, ce sont les questions d’éthique et de transparence des institutions auxquelles renvoie directement celle du lobbying qui devront être débattues2.

 

Carine Riou

Doctorante en Droit public à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Chargée de mission à FONDAFIP

 

 



1 Voir Haute Autorité de la transparence pour la vie publique française, Panorama des dispositifs d’encadrement du lobbying, 28 janvier 2016

2 Sujet abordé lors du colloque « Démocratie, transparence et fiscalité » organisé par l’APFF et FONDAFIP avec le soutien la Chaire en fiscalité et finances publiques de l'Université de Sherbrooke, le 3 novembre 2016 à Montréal (Canada). Ma contribution intitulée « L’influence des groupes de pression en France et au niveau de l’Union européenne dans l’élaboration de la législation fiscale » sera prochainement publiée dans la Revue de planification fiscale et financière et la Revue Française de Finances Publiques.

 

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