L’adaptation des contrôles financiers publics aux mutations du monde moderne : un enjeu pour la démocratie

La confrontation et l’adaptation des contrôles financiers publics aux mutations considérables que connaissent actuellement les États ne sont pas, on s’en doute, un sujet qui intéresse le grand public. Il est pourtant essentiel au regard de la qualité de la démocratie qui veut que le citoyen soit assuré du bon usage de l’argent public.

Les institutions de contrôle qui sont dédiées à cette mission ne font pas défaut. Elles sont nombreuses et bénéficient d’une parfaite légitimité tant par leur compétence que par leur ancienneté. En même temps, elles ne peuvent ignorer les évolutions de leur environnement. Une transformation en profondeur de la société contemporaine est à l’œuvre, on le sait. Le moteur de cette transformation tient pour l’essentiel à une combinaison de la mondialisation et de l’intelligence artificielle qui provoque, bouscule même, aujourd’hui, l’ensemble des institutions publiques, administratives ou politiques, quelles qu’elles soient et quel que soit le pays.

Ce n’est pas là le seul facteur du changement. Viennent peser les mutations que connaissent les finances publiques avec la diffusion au sein des États d’une logique de gestion rationnelle, performante, empruntée au management des entreprises. Au contrôle de régularité lié traditionnellement à un budget de moyens vient s’ajouter un contrôle de l’efficacité de la gestion associé à un budget de résultat. C’est ainsi que se sont trouvées confrontées deux logiques, ou si l’on préfère, deux cultures : une culture politique et juridique et une culture économique et de gestion.

Il faut rappeler qu’en France, une loi de 1994 qui instituait à partir de 1997 pour les communes une comptabilité calquée sur le Plan comptable général des entreprises d’alors a marqué symboliquement tout autant que pratiquement le signal d’une évolution vers le contrôle de gestion. Celui-ci allait se développer au-delà des communes et des cercles d’initiés et se poursuivre vers des formes de plus en plus sophistiquées. L’État de son côté ne fut pas en reste puisqu’une loi organique fortement marquée par une logique de gestion allait être votée quelques années plus tard, la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 mise complètement en œuvre le 1er janvier 2006. Des budgets de programmes allaient alors se substituer aux anciens budgets de moyens et les gestionnaires comme les partenaires de l’époque allaient connaître un autre cadre budgétaire et comptable, entrer dans un autre univers, les premiers en pratiquant un autre métier, les seconds en ayant potentiellement la capacité d’exercer un pouvoir de décision et des formes de contrôles non toujours inédites mais inutilisées ou complètement nouvelles.

Par ailleurs, la confiance dans le système budgétaire et comptable allait trouver un sérieux point d’ancrage avec un principe de sincérité garanti par la LOLF et par la Constitution. Toutefois l’ensemble de l’édifice reposait sur une responsabilisation des acteurs qui, au fil du temps, s’est révélée bien difficile à concrétiser.

Aujourd’hui, ce qui a pu être considéré comme une révolution budgétaire s’est banalisé sous l’effet des habitudes et de l’arrivée de jeunes générations qui n’ont pas connu d’autres dispositifs et procédures. Quoi qu’il en soit, alors qu’au moment de la conception de la réforme il avait été craint que celle-ci soit appréhendée comme un instrument focalisé sur les contrôles financiers, et par suite son acceptation compromise, ce sont certainement ces derniers qui, finalement, ont révélé des capacités d’adaptation remarquables en n’ayant pas cessé de s’affiner, notamment en s’appuyant sur les nouvelles technologies.

En définitive, l’administration comme les responsables politiques, ont su dans l’ensemble s’approprier et faire évoluer des contrôles largement empruntés au secteur privé, par exemple celui de l’efficacité ou du risque, tout en conservant le sens initial de leur raison d’être, la sincérité et la régularité des opérations budgétaires.

Toutefois, ce processus d’adaptation n’est pas terminé et il est fondamental de poursuivre. Car les contrôles financiers sont une source essentielle de la confiance que peuvent ressentir les citoyens dans leurs institutions administratives et politiques.

Michel BOUVIER

RFFP n°147 - Sommaire

Argent public et nouvelle corruption

RFFP n° 147 – Septembre 2019


Éditorial : L’adaptation des contrôles financiers publics aux mutations du monde moderne : un enjeu pour la démocratie, par Michel Bouvier ..... V

• ARGENT PUBLIC ET NOUVELLE CORRUPTION

Introduction, par Marcel Gauchet ....... 3

La corruption : une menace pour la démocratie, les finances publiques et le marché, par Michel Bouvier ........ 5

CLARIFIER LE CONCEPT DE CORRUPTION

Le concept de corruption : le besoin de clarification, par Michel Bouvard ........ 13

La conception de la corruption dans le droit pénal, par Laure-Alice Bouvier ....... 15

Regard sur la microéconomie de la corruption et son impact sur les finances publiques, par Jean-Marie Monnier ....... 35

Favoritisme et corruption, par Rozen Noguellou ...... 45.

REGARDS COMPARÉS

L’Europe est-elle aussi corrompue que les Européens le croient ?, par Alina Mungiu-Pippidi ..... 57

La corruption et ses ressorts en Afrique de l’Ouest francophone, par Nicaise Méde ....... 71

L’influence des groupes de pression sur les décisions en finances publiques, par Noureddine Bensouda........ 83

QUELS NOUVEAUX ENJEUX ? QUELS NOUVEAUX MOYENS ?

Propositions pour limiter les formes de corruption existantes dans le champ des finances locales, par René Dosière ....... 97

Corruption et relations internationales, par Julian Fernandez ........ 101

La Cour des comptes et les juridictions financières : les garantes de plus en plus vigilantes de la probité des gestions publiques, par Gilles Miller ....... 111

Argent public et nouvelle corruption : quels nouveaux enjeux ? quels nouveaux moyens ?, par Laurent Saint-Martin ...... 127

L’engagement de Transparency dans la lutte contre la corruption, par Marc-André Feffer ...... 131

• DOSSIER : JUSTICE FISCALE : ASPECTS COMPARES

Les défis de la justice fiscale au sein du Fédéralisme brésilien, par Misabel Abreu Machado Derzi ........ 139

Quelle justice fiscale pour un monde en transition ?, par Michel Bouvier ...... 149

• CHRONIQUE DE GOUVERNANCE BUDGÉTAIRE

Les critères d’évaluation des politiques de l’enseignement scolaire dans la loi de finances : une performance difficilement mesurable et mal mesurée, par Pascale Bertoni ....... 161

• CHRONIQUE FISCALE

Le consentement de l’impôt, par André Barilari ...... 191

Vers une généralisation du recours pour excès de pouvoir contre toute prise de position de l’administration fiscale ?, par Simon Daragon ...... 205

• CHRONIQUE ÉTUDIANTE

Avant-propos de Jérémy Lucky....... 233

Vers un budget fédéral pour la zone euro ?, par Abdoul Ndiaye ...... 235

Vers une PAC 2021-2027 « renationalisée » et en recul ?, par Thibaut Lemonnier ...... 241

Indemnisation chômage européenne : pourquoi les objections sont infondées, par Keridwen François-Merlet ....... 245

Quels principes pour une convergence fiscale au sein de l’Union européenne ?, par Jérémy Lucky ...... 249

Quel modèle de taxe écologique ?, par Simon Forfait ....... 253

• CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

I. – Compte rendu d’ouvrage, par Gilbert Orsoni ...... 259

II. – Vient de paraître ....... 261

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