Face à la crise du Covid-19 pensons et construisons les finances publiques autrement !


Avec la crise du Covid-19 c’est assurément à un énorme challenge auquel nous sommes confrontés. La crise sanitaire se double d’une crise économique et sociale grave et une fois encore les finances publiques sont en première ligne en étant au cœur des enjeux actuels. Toutefois le défi auquel elles ont à faire face est quant à lui totalement inédit. Certes depuis le milieu des années 1970 on a pu assister à une succession de crises économiques et à une métamorphose du modèle financier public. Cependant la crise actuelle doit être regardée avec une très grande attention. Car malgré des similitudes avec les précédentes elle est fondamentalement d’un autre ordre en ayant pour origine une pandémie contre laquelle il n’existe encore aucun remède, aucun moyen de l’enrayer sinon la mise en place de pare-feux, de mesures de protection consistant en une limitation des relations entre les individus et pouvant aller jusqu’au confinement, cause d’un ralentissement considérable du développement économique. D’autre part, les solutions mises en œuvre étant systématiquement entravées par les évolutions du coronavirus qui sont inégales dans le temps et dans l’espace, il est bien difficile dans ce cadre de développer une stratégie des finances publiques. D’une certaine manière, la pandémie impose sa loi. Elle oblige à s’adapter en permanence aux conséquences économiques et sociales des mesures sanitaires prises pour l’endiguer alors que le système financier public nécessite quant à lui d’être appréhendé à travers ses rapports avec les autres composantes de la société, économiques, juridiques, sociales, etc. Autrement dit avec l’ensemble des acteurs qui composent une société car tous sont concernés à un titre ou à un autre.

Or qu’ils soient publics ou privés, il est clair que ces derniers n’ont pas pris la mesure des risques potentiels actuels avant que ne se déclenche la catastrophe que nous connaissons. Personne n’a identifié la multiplicité et la gravité de ces risques ainsi que l’accélération de leur danger et du coût financier qu’ils engendrent. Comment en sommes- nous arrivés là ? Que faut-il faire ou ne pas faire ? Un sentiment de désarroi traverse aujourd’hui une grande partie de la population touchant également des décideurs et des experts. Il apparaît que des réponses au coup par coup ne peuvent qu’amplifier les problèmes et sont révélatrices d’une impuissance à leur égard. Les réponses doivent être en rapport avec la complexité particulière du contexte et à l’incertitude qui y prédomine.

Au-delà de cette crise, c’est aussi à une autre crise, moins perceptible à priori, à laquelle nous sommes confrontés. Celle d’un modèle politique, celui de l’État, qui concerne tous les pays dans le monde, Plus précisément, depuis environ un peu plus de quarante ans, depuis le déclenchement de la crise de l’État-providence, les responsables politiques, économiques et sociaux ne sont jamais parvenus à instituer un nouvel ordre, un nouvel équilibre entre l’État central, le marché économique et financier, les collectivités locales, les acteurs sociaux... Chacun a poursuivi sa propre logique, souvent sur fond de corporatisme et de court-termisme. La société a continué à fonctionner « en silos ». Elle est peu à peu devenue celle du « chacun chez soi » sinon du « chacun pour soi », autrement dit d’un hyper-individualisme ou si l’on préfère d’une mosaïque d’égoïsmes.

Ainsi, au-delà de la crise sanitaire ou encore de la crise économique et sociale que le confinement, l’arrêt ou le ralentissement des activités ont engendrées c’est à la crise de l’État à laquelle nous sommes confrontés. Cela malgré les apparences. Car en effet depuis la crise des subprimes et maintenant celle du Covid-19, l’intervention de l’État est vue comme la solution aux problèmes ; il est perçu comme l’ultime recours. L’approche peut paraître rationnelle et fondée au regard des capacités des pays considérés comme les plus riches, par exemple les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume Uni ou la France. Or la puissance économique et financière n’empêche pas la pénurie de moyens comme on a pu constater non seulement pour l’hôpital mais aussi pour beaucoup d’autres services publics. On est donc en droit de se demander ce qui ne va pas, d’où provient cette pénurie. Ne faisons-nous pas fausse route ? Cette confiance dans la toute-puissance de l’État ne relève-t-elle pas d’une croyance erronée, d’un imaginaire, celui d’un monde disparu idéalisé, celui des Trente Glorieuses ?

D’autant que, partout, à des degrés divers, les États font appel à l’emprunt et parfois massivement. Mais, on peut facilement le deviner, si la relance n’est pas au rendez-vous, si les plans mis en œuvre dans les différents pays ne sont pas suivis des effets escomptés une telle solution n’est pas viable sur le long terme.

Il est donc crucial de prévenir cette éventualité, de réexaminer notre modèle de société et notamment celui des finances publiques et du secteur public dans ses rapports avec le secteur privé. Car l’État pourrait bien être rapidement débordé dans la mesure où il ne peut assumer seul les chocs qui se multiplient ; il n’en a plus les moyens. Les risques se sont en effet démultipliés ces dernières années. Ils sont plus variés, plus fréquents, plus nombreux qu’auparavant et aussi plus dangereux. Ce ne sont pas seulement des chocs, des risques économiques ou financiers ni même sanitaires qui nous menacent. D’autres vont s’ajouter ou se combiner entre eux dont certains sont déjà là à l’état naissant : par exemple l’explosion démographique, la fracture territoriale, le réchauffement climatique, l’accroissement de la fracture sociale, l’évasion fiscale internationale, etc. Répondre à de tels enjeux suppose une autre architecture des pouvoirs économiques, politiques et sociaux, un autre système de décisions. Il convient aussi de bâtir un autre modèle de finances publiques. Pour cela il est crucial de se débarrasser des préjugés, des idéologies, qui en empêchent la compréhension. Trop de fausses certitudes aboutissent à nier la complexité qui les caractérise et ne permettent donc pas d’apporter des réponses pertinentes aux crises qui surgissent et qui sont aujourd’hui multi-factorielles. Si les discours ou les écrits font souvent le constat qu’il existe des effets en chaîne concernant tel ou tel évènement, les conséquences pratiques en sont rarement tirées. Les attitudes intellectuelles actuelles par rapport à la crise du Covid-19 en sont un exemple ; alors que celle-ci est d’évidence plurielle, sa complexité ne fait pas l’objet d’une approche adaptée.

Au final, bien qu’il existe une prise de conscience des effets systémiques existant au sein de nos sociétés, les problèmes posés et les réponses données sont séparés les uns des autres. Or, s’il est urgent d’admettre qu’il existe une solidarité objective entre les acteurs concernés, il l’est tout autant de l’incarner dans des institutions. Il s’agit donc de reconstruire le processus de décision en mettant en place des structures plurielles inclusives. On peut constater aujourd’hui qu’il existe une mosaïque de pouvoirs économiques, politiques, sociaux qui ne trouvent aucune institution pour se retrouver, se concerter et définir des solutions communes permettant de répondre aux crises comme de construire un modèle politique correspondant à la complexité de nos sociétés. La crise sanitaire que nous traversons devrait être l’occasion de réorganiser la gouvernance publique selon une logique reposant sur une synergie d’acteurs. Il s’agit d’inventer un modèle partenarial avec des institutions d’aide à la décision permanentes ou à géométrie variable réunissant les acteurs économiques, politiques et sociaux au niveau local, national mais également international.

Ce sont les bases de la création d’un nouvel État-providence qu’il convient de poser. Il est urgent de construire un nouvel équilibre politique, économique et social car ce ne sont pas seulement des personnes physiques ou des entreprises qui sont fragilisées par la Covid-19 mais bien le monde actuel. Les sociétés, les institutions qui ont été bâties au fil du temps sont aujourd’hui d’une très grande fragilité. Sans oublier aussi que l’intelligence artificielle devrait nous permettre de faire face efficacement aux défis qui sont posés. Nous ne sommes qu’à l’aube des possibilités qu’elle nous offre. Si l’on estime exact que le monde de demain ne sera pas le même que celui d’hier, si l’on pense sincères les voix qui se font entendre ici ou là pour appeler à l’invention d’une société plus solidaire, alors le temps est venu de réunir les représentants des forces politiques, sociales et économiques pour donner un sens contemporain aux finances publiques. Il est plus que jamais indispensable de développer des lieux de réflexion et de coopération permanents au niveau local, national et international représentatifs de la diversité des acteurs concernés.


Michel BOUVIER

RFFP n°152 - Sommaire

Du service public du développement économique au service public de la survie de l’économie ?

RFFP n° 152 – Novembre 2020


Éditorial : Face à la crise du Covid-19 pensons et construisons les finances publiques autrement !, par Michel Bouvier..... V

DU SERVICE PUBLIC DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE AU SERVICE PUBLIC DE LA SURVIE DE L’ÉCONOMIE ?

Les sources d’inspiration du droit de la relance économique

Le « poids d’histoire » du droit administratif : une ressource politique d’actualité ?, par Jacques Caillosse..... 5

L’influence de la recherche économique sur la jurisprudence du Conseil d’État, par Régis Lanneau..... 17

Les acteurs du droit de la relance économique

Les configurations de l’État stratège, par Jacques Chevallier..... 27

De quoi l’externalisation permet-elle de faire l’économie ?, par Léo Vanier..... 37

Les collectivités locales : des acteurs du développement économique entre mystique de l’État et mystique du marché, par Michel Bouvier..... 47

Le rôle du droit des aides d’état pour sortir de la crise, par Denis Jouve..... 55

Les outils du droit de la relance économique

La fiscalité, levier d’action du service public du développement économique, par Jean-Raphaël Pellas..... 67

La coopération et le service public du développement économique face au coronavirus, par Raphaël Reneau..... 77

Propos conclusifs

Du service public du développement économique au service public du développement (économique) durable ?, par Fabien Bottini..... 89

• CHRONIQUE DE GOUVERNANCE BUDGÉTAIRE

Les principes budgétaires à l’épreuve de la crise sanitaire, par Christelle Ballandras-Rozet..... 101

L’urgence sanitaire et certains inaperçus budgétaires et comptables publics, par Jean-Luc Albert..... 123

La dette publique, quels enjeux ?, par Jean-Bernard Mattret..... 133

Calculer une redevance d’occupation du domaine public, par Alain Caumeil et Mohammed de Lorgeril..... 151

CHRONIQUE DE GOUVERNANCE FINANCIÈRE PUBLIQUE COMPARÉE

Gestion des finances publiques en Afrique sub-saharienne, par Dominique Bouley et Luc Leruth ..... 165

• CHRONIQUE FISCALE

Le mécénat culturel, un objet fiscal non identifié, de Jean-Raphaël Pellas..... 183

Chronique semestrielle de jurisprudence fiscale (janvier-juin 2020), par Aurélien Baudu, Xavier Cabannes et Julien Martin..... 201

• CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE FINANCIÈRE

Chronique de jurisprudence des juridictions financières 2019, par Jean-Luc Girardi..... 223

• CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

I. – Compte rendu d’ouvrage, par Florence Deboissy ..... 265

II. – Vient de paraître ..... 268 

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