Éditorial

 

La sécurité fiscale :
une politique publique à part entière

 

Il est indéniable que la sécurité fiscale se pense et s’élabore à travers des constructions juridiques. Toutefois son enracinement dans des méandres du droit de plus en plus complexes ne doit pas faire à oublier qu’au-delà de l’approche juridique, le sujet relève à part entière du champ des politiques publiques et d’un choix de société, au même au même titre que l’Éducation, la Défense, la Culture, la Santé, ou encore la Justice. Le champ concerné, l’impôt, en fait d’ailleurs un sujet particulièrement sensible. L’histoire l’a montré, la fiscalité peut donner lieu en effet à des atteintes graves aux droits fondamentaux. Si le temps n’est plus, fort heureusement, des exactions commises par ceux qui la décident ou la recouvrent, la question de la sécurité fiscale n’a pas pour autant disparu. Elle se pose avec acuité lorsque l’impôt prend un tour confiscatoire et affecte les capacités économiques des contribuables ou encore lorsque l’instabilité des règles est particulièrement forte mettant les contribuables dans l’incapacité de bâtir leur futur personnel ou celui de leur entreprise.

Or la sécurité en matière fiscale est essentielle à divers titres et si ses formes et son accomplissement dépendent au final des règles juridiques et des pratiques administratives qui la concernent, il convient avant tout de la considérer comme procédant d’un mode d’organisation de la société. Des valeurs politiques sont en jeu telles que celles qui ont trait à la tradition démocratique et à la protection des droits de l’homme. Des impératifs économiques sont également déterminants qui concernent tout autant le dynamisme de la consommation que celui des entreprises. Des considérations financières sont aussi à prendre en compte car l’insécurité fiscale a nécessairement des conséquences sur l’accomplissement par les contribuables de leurs obligations et peuvent obérer le recouvrement de l’impôt1. Il ne faut pas non plus oublier que le cadre d’action de la gestion de l’impôt par ceux qui en ont la charge doit être suffisamment clair pour qu’ils soient en mesure d’assurer correctement leur fonction. Enfin, le défaut de sécurité fiscale est susceptible d’engendrer divers comportements d’évitement de l’impôt, des révoltes certes mais aussi des délocalisations vers des États où l’assurance que les facteurs essentiels de cette sécurité sont au rendez-vous.

Considérée d’un point de vue général, et comme l’a excellemment souligné F. Luchaire, « la sécurité juridique est un élément de la sûreté. À ce titre, elle a son fondement dans l’article 2 de la DDHC de 17892 qui place la sûreté parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme au même titre que la propriété et la résistance à l’oppression »3. La sécurité juridique, et par conséquent la sécurité fiscale, participe donc de la protection des droits de l’homme. Mais, on l’a dit, le sujet est également d’ordre économique. Il est du reste devenu brûlant du fait de la crise économique qui génère une instabilité économique et financière et rend la sécurité fiscale d’autant plus indispensable. Toutefois c’est surtout à la faveur du développement d’une société globalisée que le thème de la sécurité fiscale connaît un regain d’intérêt car dans ce cadre l’insécurité fiscale augmente aussi bien pour les entreprises que pour les salariés. La mondialisation ayant rendu le marché économique plus que jamais imprévisible, la sécurité fiscale constitue plus que jamais un objectif indispensable pour le bon fonctionnement des activités économiques. Le besoin de plus en plus urgent de sécurité fiscale se fait sentir aussi bien pour la petite entreprise nationale dont le sort, qu’elle le veuille ou non, est plus ou moins déterminé par les fluctuations du marché international, que pour les grandes entreprises qui développent des stratégies fiscales à l’échelle de l’espace planétaire.Parallèlement, l’administration fiscale se trouve placée face à un problème similaire. En effet, non seulement sa fonction de service public lui fait obligation de faire en sorte que le contribuable soit clairement informé de ses droits et de ses devoirs, mais elle doit gérer l’impôt et contrôler la sincérité des déclarations produites dans un contexte où l’on constate un peu partout la montée en puissance de dispositifs fiscaux de plus en plus compliqués, voire agressifs.

On le sait, le droit fiscal traduit sous la forme de normes des objectifs politiques, financiers, économiques, sociaux extrêmement variés. C’est la raison pour laquelle c’est un droit complexe dont les règles sont souvent difficiles à interpréter, la complexité de ce droit n’ayant d’égale que la variété des situations qu’il doit appréhender. C’est ce qui explique aussi à la fois sa complexité et son instabilité, le législateur étant conduit à multiplier les dispositions dérogatoires et à modifier constamment les règles établies. On voit également se multiplier les sources de ce droit, nationales et internationales, législatives, réglementaires, jurisprudentielles, de même qu’on voit aussi apparaître de nouveaux domaines, de nouveaux acteurs et de nouveaux problèmes. Il en résulte une extrême diversité ainsi que des règles d’assiette et de procédures souvent très compliquées qui renvoient une image complexe de la structure fiscale qui n’est pas du tout sécurisante. Comme l’a parfaitement mis en évidence le rapport Fouquet, « l’instabilité et la complexité de la norme fiscale sont les premières causes d’insécurité juridique : les changements fréquents de la loi et les difficultés qui apparaissent lorsqu’il s’agit de l’interpréter constituent une source de risque pour l’ensemble des contribuables dans leur relation avec l’administration fiscale comme dans l’appréhension de la dimension fiscale d’un projet économique »4.On l’a compris, c’est dans un cadre global que doit être replacée la question essentielle de la sécurité fiscale qui doit être appréhendée comme une véritable politique publique. C’est à ce prix que peut se trouver renouvelé le civisme fiscal et dynamisé le marché économique. Il est urgent, à notre sens, de poser avec fermeté que cette politique publique doit être clairement définie et identifiée comme telle au sein de la stratégie de l’État. Elle est en effet indispensable pour affirmer la légitimité de l’impôt aux yeux des contribuables effectifs ou potentiels. Une question essentielle et cruciale aujourd’hui. 

Michel BOUVIER

 

 1. A. Smith estimait déjà que la fiscalité devait être dotée de deux qualités essentielles :la clarté et la commodité. « La taxe, écrivait-il, ou portion d’impôt que chaque individu est tenu de payer doit être certaine et non arbitraire. L’époque du payement, le mode du payement, la quantité à payer, tout cela doit être clair et précis, tant pour le contribuable qu’aux yeux de toute autre personne ». Ce principe dit de certitude s’accompagnait d’un principe de commodité selon lequel « tout impôt doit être perçu à l’époque et selon le mode que l’on peut présumer les plus commodes pour le contribuable » (in Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776).

2. « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ».

3. F. Luchaire, « La sécurité juridique en droit constitutionnel français », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 11‑2001.

4. « Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’administration fiscale et les
contribuables : une nouvelle approche », rapport Fouquet (2008).

RFFP n°130 - Sommaire

Éditorial : La sécurité fiscale : une politique publique à part entière, par Michel Bouvier

 LA SÉCURITÉ FISCALE

Avant-propos, par Olivier Fouquet

La sécurité fiscale : quels enjeux juridiques ?, par Jean-Raphaël Pellas

Constitution et confiance légitime, par Claire Bazy Malaurie

La nature non normative de la doctrine administrative, par Édouard Crépey

Le rescrit fiscal, par Gilles Bachelier

Le recours pour excès de pouvoir contre les instructions fiscales, par Stéphane Austry

La confiance légitime peut-elle sauver l’opposabilité d’une doctrine fiscale contraire au droit de l’Union ?, par Hervé Cassagnabère

L’abus de droit et la sécurité juridique, par Olivier Fouquet

Sécurité juridique et rétroactivité de la loi fiscale, par Martin Collet

La Cour de cassation et la sécurité juridique, par Bernard Hatoux

Des accords aux principes de bonne administration jugulés par la légalité en droit belge, par Jean-Pierre Nemery de Bellevaux

La sécurité juridique des contribuables au Canada : vers la reconnaissance d’une nouvelle
norme, par André Lareau

La crise de la chose jugée en matière fiscale au Brésil, par Igor Mauler Santiago et Misabel Abreu Machado Derzi

 

  • CHRONIQUE BUDGÉTAIRE ET COMPTABLE

La loi de finances pour 2015, par Christophe Pierucci

 

  • CHRONIQUE FISCALE

La taxe carbone en France : la troisième tentative est la bonne, par Antoine Magnant

 

  • CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE FINANCIÈRE CONSTITUTIONNELLE

Chronique du 2e trimestre 2014, par André Barilari


Le principe d’égalité dans le jugement incident de constitutionnalité en matière fiscale en France et en Italie, par Jeanne Laleure-Lugrezi

 

  • CHRONIQUE DE GOUVERNANCE FINANCIÈRE LOCALE

Évaluation de la mutualisation des services : de la mesure des impacts financiers à la facturation intercollectivités (Illustration à travers le cas de figure d’Angers), par Franck Gillard
 

Le pilotage financier pluriannuel des collectivités territoriales : entre prévision et prospective, par Éric Portal

 

  • CHRONIQUE D’HISTOIRE DES FINANCES PUBLIQUES

Le baron Louis : créancier de l’État et ministre des Finances. Réflexions autour de son unique ouvrage, l’Opinion d’un créancier de l’État, par François Bonneville

 

  • CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

I. – Compte rendu d’ouvrage, par Éric Oliva
II. – Vient de paraître

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