Éditorial
La métropole : avenir d’un nouveau modèle de gouvernance publique
Selon un récent rapport de l’ONU, en 1950 « plus des deux tiers (70 %) de la population mondiale vivait en milieu rural et moins d’un
tiers (30 %) en milieu urbain. En 2014, 54 % de la population mondiale est urbaine ». Et il est estimé par les auteurs du rapport qu’en 2050
cette proportion sera de l’ordre de 66 %. En même temps que l’explosion du phénomène urbain, c’est une logique nouvelle qui se met progressivement en place dans le monde, c’est également une culture inédite de la gouvernance publique qui se dessine et prend forme. Les métropoles qui font aujourd’hui l’objet en France d’une construction juridique, constituent un phénomène qui n’est pas absolument nouveau. En revanche ce qui l’est c’est l’environnement actuel dans lequel elles naissent ou se développent. Un environnement marqué par une véritable mutation de notre société qui, depuis la seconde moitié des années 1970, et à la suite des chocs pétroliers de 1973 et 1979, a vu un peu partout dans le monde l’État se transformer en profondeur sous les effets d’une crise économique suivie d’une crise des finances publiques. L’urgence actuelle de rendre nos finances publiques soutenables constitue en effet un fait majeur qui détermine nombre de politiques publiques et l’avenir des métropoles en particulier. À cet égard, la mise en place des métropoles en France intervient à la fois au pire et au meilleur moment. Au pire moment dans la mesure où la situation des finances publiques n’est pas bonne ; or sans moyens financiers suffisants les plus belles constructions institutionnelles ne sont que des châteaux de sable. C’est pourquoi sans une mise en perspective des métropoles avec les contraintes budgétaires et sans un statut financier clair, et notamment fiscal, elles ne peuvent que se développer dans la confusion. Au meilleur moment dans la mesure où leur dynamisme peut participer de manière efficace à une stratégie de développement économique et par conséquent permettre d’inverser la logique infernale du développement incontrôlé des déficits publics et de la dette publique qui est susceptible d’obérer lourdement l’investissement et par suite la croissance économique. Il faut garder à l’esprit que depuis la fin des années 1970 nous subissons un processus au cours duquel les difficultés s’ajoutent aux difficultés. Cela fait environ quarante ans que les solutions définitives tardent à venir. Du reste elles ne sont toujours pas au rendez-vous. Rien n’est stabilisé. Rien n’est résolu sur le fond si l’on accepte de placer le bien-être des populations au centre de nos préoccupations. Cela fait 40 ans que la crise qui a surpris, a inquiété au début tout en étant néanmoins considérée comme conjoncturelle, s’est progressivement imposée comme une crise structurelle. Il s’en est suivi une situation vécue comme quasi normale surtout par les jeunes générations qui n’ont rien connu d’autre. Cela fait aussi 40 ans que le monde se transforme avec la globalisation des échanges, les nouvelles technologies d’information et de communication, les espoirs déçus et les modes intellectuelles qui changent et s’interdisent d’écrire tout grand projet de société. Cela fait 40 ans de mutations subies de notre société, de soubresauts, de crises successives, d’hésitations, de doute, d’incertitudes, de tensions et parfois d’espoirs cependant vite déçus. Durant ces 40 ans tout a été essayé : l’interventionnisme public, le non-interventionnisme, les privatisations, la politique de l’offre après celle de la demande ou en même temps, la baisse des impôts puis la hausse puis de nouveau la baisse, la décentralisation, etc. Durant cette période le monde a finalement vécu 40 ans de désarroi mais aussi de creusement des inégalités, de souffrance pour nombre de nos semblables, des enfants, des femmes, des hommes, et bien sûr les plus vulnérables d’entre nous. Quel que soit le pays, le coût social de cette mutation est là et il est parfois colossal. Tout au long de ces quarante années les finances publiques ont été en première ligne parce qu’elles sont d’essence fondamentalement politique et que c’est une mutation du modèle politique que nous avons vécu et continuons de vivre. De même que l’État prend un autre sens les finances publiques prennent d’autres formes que nous identifions encore très mal. À la logique démocratique traditionnelle qui est la leur, est venue, plus ou moins récemment selon les pays, s’imposer une logique économique, la logique gestionnaire. Cette dernière est posée, on le sait, comme la condition nécessaire à une sortie de la crise des finances publiques. Elle est portée par une confiance en l’expert qui se double parfois d’une défiance vis-à-vis de la classe politique. Or de même que l’on peut douter des capacités de la seule technique à juguler les déséquilibres actuels, on peut douter également que le renouveau puisse venir d’institutions ou de théories économiques qui, si elles ont fait leurs preuves au XIXe ou au XXe siècle, ne sont plus vraiment adaptées au contexte actuel. Force est de constater que nous ne sommes pas assez dans la création mais trop dans la répétition de modèles institutionnels ou intellectuels qui ont fait leur temps. Or, au regard de la succession ininterrompue de crises depuis la fin des années 1970 et des réponses qui leur ont alors été données, la question n’est pas de savoir s’il faut poursuivre une politique libérale classique ou s’il faut en revenir à une politique keynésienne. La priorité est d’abord de parvenir à identifier correctement la réalité actuelle. Car le XXIe siècle est et sera bien différent à tous points de vue : international, national, politique, sociologique, idéologique, économique. Si l’on y regarde en effet d’un peu près, la société contemporaine est la résultante et le fruit d’un processus lent de métamorphose de notre société. Faute d’identification de ce contexte, le risque est de répondre au coup par coup aux problèmes, dans l’urgence, et de voir se développer une cacophonie, un système déshumanisé, résultat d’une incapacité à penser, autrement dit à comprendre et à interpréter un monde en pleine mutation.
Il est crucial par conséquent d’encourager l’audace intellectuelle, de stimuler la créativité politique afin d’inventer l’architecture d’un nouveau modèle de société et d’une nouvelle gouvernance financière publique parce que celle-ci en est l’ossature. Or, les métropoles, qu’elles soient internationales ou non, constituent une des têtes de pont de la construction économique et politique du futur. Elles nous ouvrent de nouveaux horizons et nous offrent l’occasion d’innover. Elles sont porteuses d’une manière de s’organiser et d’un processus de décision en réseaux qui préfacent les figures du modèle politique de demain. Elles sont aussi amenées à bousculer beaucoup de certitudes intellectuelles et de situations institutionnelles acquises. En d’autres termes on peut considérer qu’à travers les métropoles, c’est un vrai projet de société qui prend forme et c’est même certainement la grande affaire de la réflexion politique, économique et sociale pour les prochaines années. Certes, l’on est face à un ensemble composite complexe qui peut laisser douter de sa cohérence globale et par conséquent de la capacité à le piloter. Or, à un moment ou une stratégie financière s’avère indispensable pour maîtriser un déficit et une dette publique susceptibles de mettre en cause l’équilibre de la société il est crucial d’inventer un nouveau processus de décision. Mais il ne s’agit pas d’en revenir à l’État centralisé, vertical et quasiment
caricatural, que la France a autrefois connu ; il ne s’agit pas non plus de laisser se développer à l’infini des pouvoirs autonomes, horizontaux, et
finalement une néo-féodalité. La voie est donc étroite car elle ne peut que se formaliser dans un système associant unité et diversité3. L’objectif doit être de dépasser les clivages de toutes sortes et de rompre avec une conception cloisonnée de la société, une conception qui ne reconnaît pas et ne formalise pas les multiples interactions et la multi-rationalité qui les caractérisent. Au final, il s’agit de construire un ordre polycentré que l’on pourrait qualifier d’ordre des autonomies relatives : un ordre organisé à la fois sur un plan vertical et horizontal, autrement dit transversal, une gouvernance en réseaux, au niveau local, national, européen et même, au-delà, international.
Michel BOUVIER