Éditorial
Gestion financière publique / gouvernance financière publique : sortir d’un quiproquo fatal à la soutenabilité des finances publiques
Le contrôle des finances publiques, autrement dit la maîtrise de l’évolution des dépenses publiques, de la dette publique, des déficits publics voire de la pression fiscale, fait problème depuis des décennies. Et, malgré une sophistication croissante des outils de gestion, c’est un constat d’impuissance qui s’impose.
Cette situation qui perdure met en évidence une faille dans le dispositif de gouvernance du système financier public dont l’origine provient d’une réduction de ce dispositif au contrôle de la gestion. Autrement dit, une confusion entre décision et gestion s’est installée qui masque les dysfonctionnements du modèle de gouvernance des finances publiques et fait obstacle à sa réforme. Cette assimilation conduit à démultiplier les techniques de gestion (indicateurs de performance, contrôle interne, programmation pluriannuelle, etc.) et à les considérer comme la condition essentielle d’une bonne gouvernance alors que ce ne sont que des instruments et qu’en préalable il conviendrait de s’interroger en amont sur la pertinence du processus de décision qui est quant à lui de l’ordre du politique.
Un tel enfermement dans un modèle technique de plus en plus complexe ne fait qu’amplifier la difficulté à identifier la gravité des enjeux et à bâtir un modèle adapté de gouvernance. Cet excès de technicité en vient à se suffire à elle-même et à occuper en quasi- totalité le champ de la réflexion. Une telle polarisation sans référence à un projet d’ensemble aboutit finalement à une accumulation de normes rendant les systèmes financiers de moins en moins transparents mais aussi de plus en plus difficiles à contrôler. Ils en viennent aussi à se trouver exagérément éloignés des citoyens ainsi que des élus et à nécessiter l’intervention croissante d’experts assumant parfois de fait la responsabilité des décisions.
Il faut également souligner que cela fait trop longtemps que les mêmes solutions sont avancées. De décennies en décennies, les propositions qui se sont succédé sont récurrentes et relèvent soit du bricolage de dispositifs existants, soit de discours théoriques identiques depuis plus de quarante ans. Or, ces réponses se rattachent à un monde en train de disparaître ou qui n’existe déjà plus en grande partie. Un imaginaire idéologique ou technique frisant parfois la mystique se développe donnant naissance à la construction d’un modèle relevant lui aussi de l’imaginaire incapable par conséquent d’affronter une réalité souvent difficile à saisir car reposant plus que jamais sur un principe d’incertitude.
Il est donc maintenant crucial d’être en mesure de réguler le système financier public, et d’inventer un modèle de gouvernance adapté à un modèle de société complètement nouveau et en devenir constant. Il s’agit là d’une question centrale.
L’identification du contrôle de la décision au contrôle de la gestion est à l’origine d’un quiproquo qui non seulement conduit à l’impuissance à réaliser une soutenabilité durable des finances publiques mais bloque une réforme en profondeur de leur modèle. C’est à notre sens une question délaissée, ou plutôt détournée vers le processus de gestion qui est en jeu, celle de la construction d’un dispositif de régulation politique comme élément clef du modèle financier public.
Cet aspect a été négligé car la réforme budgétaire de 2001, la LOLF, est le produit d’un processus de transformation du modèle économique de la société des années 1960-1970 qui institue une appropriation du modèle de gestion et de gouvernance de l’entreprise et donc d’une culture économique, par l’ensemble des acteurs du processus budgétaire ce qui inclue aussi bien les gestionnaires que les décideurs politiques. Cet objectif vise notamment à ce que les politiques et particulièrement les élus, considérés comme une source d’augmentation des dépenses, adoptent une culture de gestion par laquelle ils se sentiraient responsables de la bonne utilisation des deniers publics. Et si les élus n’ont pas donné forme concrète à cette culture, le relatif désintérêt pour la discussion de la loi de règlement en est un signe probant, ils en ont toutefois épousé l’idée jusqu’à considérer la gouvernance financière à travers l’unique prisme de la bonne gestion, condition de l’efficacité de l’utilisation de l’argent public. Or, ce qui peut s’entendre pour une entreprise ne le peut pas nécessairement pour l’État. Le problème de la gouvernance ne se pose pas dans les mêmes termes car la logique politique répond à des impératifs qui peuvent être contraires à une logique de gestion ou tout au moins différents. Si les objectifs se rejoignent lorsqu’il est question de réaliser des actions au moindre coût et le plus efficacement possible ils peuvent parfois s’en éloigner face à l’obligation qu’a le secteur public d’assurer le bien-être des populations.
La réalisation de l’équilibre général d’une société est en effet considérablement complexe et oblige l’État à prendre des décisions parfois incompatibles avec des principes considérés jusqu’alors comme relevant de la bonne gestion. La période actuelle en est un excellent exemple et les décisions prises dans l’urgence d’augmenter ou de diminuer des crédits sont révélatrices de l’inadaptation du modèle de gouvernance financière publique aux situations de crises.
La raison en est, au moins en partie, qu’une ambiguïté majeure n’a jamais été levée. D’un côté, il est institué des dispositifs propices à une certaine harmonie des décisions tel qu’un « chaînage vertueux » entre loi de règlement et loi de finances initiale (article 41 de la loi organique) ou bien des mesures permettant d’associer le Parlement à la préparation du budget et atténuer la coupure entre l’exécutif et le législatif comme le débat d’orientation des finances publiques (on peut y voir une procédure exprimant la volonté de mettre en place un processus ininterrompu de décision entre préparation et adoption).
D’un autre côté, il est maintenu dans la Constitution un esprit et de règles qui sont en contradiction avec une responsabilisation des élus. Le modèle politique de la décision budgétaire demeure enraciné dans une conception qui privilégie l’exécutif et limite l’initiative des parlementaires en dépit du fait que la LOLF soit porteuse d’un renforcement de la démocratie parlementaire.
Le texte comporte en effet des procédures allant dans ce sens comme par exemple la possibilité qui est offerte aux élus de modifier le projet du gouvernement en redistribuant les crédits au sein d’une mission. À cet égard, une question d’importance demeure, celle de la confiance réciproque d’une majorité et du gouvernement qu’elle soutient qui doit admettre qu’une modification même substantielle de certains programmes ne constitue pas forcément un casus belli.
Au final c’est un changement de mentalités aussi bien qu’un cadre constitutionnel qui sont question. Autrement dit le cadre juridique et culturel de la gouvernance financière publique ne favorise pas la construction d’un modèle politique distinct de celui de la gestion. Or, un tel modèle suppose des rapports de confiance fondés sur la responsabilité de chacun des pouvoirs financiers publics, une condition essentielle pour une mise en cohérence des politiques financières publiques.
Il faut en effet rappeler que l’on est en présence de trois types d’acteurs, État, collectivités locales, sécurité sociale, eux-mêmes composés de multiples structures qui forment un système complexe qui n’a rien d’harmonieux, et dont le mode de pilotage est encore très imparfait. Les uns rétroagissent sur les autres sans qu’il soit toujours possible d’en contrôler les effets.
C’est pourquoi, il faut le répéter, un modèle de gouvernance financière publique comportant un organe permanent d’aide à la décision reconnu par la Constitution et représentatif des acteurs financiers publics constituerait une réponse parfaitement adaptée. Un décloisonnement de ces acteurs permettrait de coordonner les politiques financières publiques aussi bien en ce qui concerne les charges que les ressources, notamment fiscales, et de placer la décision budgétaire dans une logique stratégique.
La nature plurielle d’une telle institution, qui ne se substituerait pas aux institutions politiques existantes, permettrait aussi de définir des propositions de solutions communes correspondant à la complexité et à l’incertitude qui caractérise nos sociétés.
Elle serait aussi particulièrement utile à une mobilisation des sources de financement des investissements. En effet, la politique d’investissement public pâtit d’une dispersion des acteurs et des mécanismes qui compromet la possibilité de hiérarchiser les priorités. Le Plan qui a longtemps favorisé la cohérence des politiques conduites jouait autrefois ce rôle. Aujourd’hui, les administrations et les institutions qui interviennent dans ce domaine sont trop éclatées. Pour remédier à la dispersion actuelle un cadre partenarial de sélection des investissements où interviendraient l’ensemble des acteurs concernes serait tout a fait pertinent.
Il est donc nécessaire de sanctuariser non pas de façon ponctuelle tel ou tel budget particulier par une loi de programmation dont on connaît la portée incertaine, mais de constitutionnaliser un modèle identifiant clairement le sens politique de la gouvernance financière publique.
Michel BOUVIER