Éditorial
Recentralisation ou intégration verticale des systèmes financiers publics ?
La récente crise financière et économique a conduit à reconsidérer la fonction de l'État et à le placer, au moins pour un temps, en tête des acteurs susceptibles de résoudre les difficultés. Mais ce serait se méprendre sur cette évolution que d'y voir une forme banale de retour de l'État. Il serait tout aussi erroné de voir dans la récente proposition – discutée de façon assez fugace – de faire « valider » par la commission ou une structure ad hoc les projets de budget des États membres de l'Union européenne, une simple volonté de puissance de la part des instances européennes.
En réalité, cette « aspiration vers le haut » du pouvoir financier procède d'un seul et même objectif qui est une mise en cohérence normale d'un système national et international à multiples acteurs. Et il n'est pas surprenant que cette réorganisation passe par un aménagement des structures financières publiques sachant que celles-ci ont toujours été à la base des constructions politiques ou de leur développement, et qu'elles en sont même l'ossature.
Autrement dit, la crise grave qui frappe le secteur public ne fait qu'accélérer une évolution, allant dans le sens d'une intégration des acteurs publics, déjà en germe depuis plusieurs années notamment en ce qui concerne l'État avec les collectivités territoriales et les administrations centrales ou déconcentrées.
Le phénomène est, il est vrai, particulièrement spectaculaire du côté des collectivités locales dont l'autonomie fiscale tend à se réduire sans pour autant, il faut le souligner, que soit remise en cause leur autonomie de gestion. Mais les mutations peuvent sembler tout aussi surprenantes du côté des gestionnaires des administrations de l'État ; loin de la caricaturale image du « rond de cuir », ils se voient soumis à une logique de la performance par laquelle ils sont tenus de réaliser un certain nombre d'objectifs et sont jugés sur leurs résultats.
En d'autres termes, cette nouvelle gouvernance financière publique, locale ou nationale, se traduit d'une part par la généralisation d'une autonomie de gestion relative qui concerne maintenant l'ensemble du secteur public, d'autre part par une réorganisation du processus de décision qui s'incarne dans une rationalisation du pouvoir fiscal. L'ultime étape, à plus long terme, pourrait bien être celle d'une évolution similaire du pouvoir financier de l'État, dans le cadre de l'Union européenne.
Plus que dans une juridicisation de règles financières publiques qui, l'histoire des finances publiques l'a déjà amplement montré, se révèle peu efficace, la restructuration du processus de décision financière publique local, national et européen, constitue à notre sens la vraie réponse à la soutenabilité des finances publiques. Une telle direction s'impose dans un monde globalisé et concurrentiel au sein duquel la compétitivité et la capacité des acteurs à résister aux crises et à se développer sont indissociables de leur appartenance à des formes politiques fortes dont les finances sont solides.
Toutefois, la question qui se pose est celle de la définition à donner à l'autonomie financière de ces structures politiques. Or il peut parfois être plus difficile de l'évoquer ouvertement que d'y répondre. Le sujet est en effet crucial pour au moins deux raisons : il concerne les solutions à apporter face à un contexte qui s'est complètement transformé depuis ces trente dernières années, et il est lié à des représentations et à des constructions institutionnelles et idéologiques parfois pluriséculaires.
On est conduit par exemple à se demander si l'autonomie fiscale locale n'est pas devenue anachronique, si elle est vraiment indispensable aujourd'hui. Depuis des décennies, en effet, elle a été considérée comme un élément essentiel de la décentralisation, qui elle-même a été perçue partout dans le monde, comme une excellente réponse à la crise de l'État Providence de la fin des années 1970. Le « système communal » [1] qui fut alors porté aux nues apparaissait comme une solution particulièrement pertinente pour sortir l'État et l'économie de leurs difficultés. Et si le « local » a pu un temps prendre sa revanche sur le « central », il l'a notamment fait à la faveur de l'essor de son pouvoir fiscal. Toutefois, on le sait, cette autonomie fiscale s'est vite trouvée menacée par les nécessités économiques qui ont entraîné une multiplication des allègements fiscaux et de ce fait des compensations. C'est alors que le contribuable national s'est substitué au contribuable local et que tout un pan de la fiscalité locale s'est progressivement éteint de lui-même.
La réponse qui a été donnée à cet égard par la révision constitutionnelle de 2003, laquelle a pu apparaître comme la marque d'un renouveau de l'autonomie fiscale, n'était déjà plus pertinente. Elle était dépassée par un mouvement de fond allant dans le sens d'une perte de substance du système fiscal local (du fait des exonérations et dégrèvements). Elle ne fut qu'un rendez-vous manqué, une illusion que finalement le Conseil constitutionnel a balayée lorsqu'il a dissocié l'autonomie financière, dont il reconnaît le principe, de l'autonomie fiscale [2] qu'il récuse.
D'une manière générale, c'est la pertinence des systèmes financiers publics qui est maintenant en cause. Conçus dans des contextes économiques, sociaux, politiques, largement différents de ceux d'aujourd'hui ils ne sont plus adaptés aux besoins d'une société globalisée en perpétuelle recherche d'équilibre. Autant dire qu'au regard des enjeux majeurs pour l'avenir, il est fondamental d'identifier correctement les voies dans lesquelles la réforme des circuits de la décision financière publique doit s'engager et cela à tous les niveaux.
M. Bouvier
[2] En considérant « qu'il ne résulte ni de l'article 72-2 de la Constitution ni d'aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale » (décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009). Et cela, malgré le fait que le niveau d'autonomie financière soit calculé, selon la loi organique du 29 juillet 2004, en fonction de ressources propres dont l'essentiel est bien constitué par le produit des impôts de toutes natures.