Éditorial

Mesdames et Messieurs les (nouveaux) députés ne négligez pas les finances publiques, il y va de l’avenir de la France



Mesdames et Messieurs les députés, il est urgent que vous vous attachiez à résoudre une question aussi cruciale que celle de la remise en ordre de nos finances publiques. Oublier cet impératif serait fatal à l’intérêt général et à la souveraineté de la France.

Vous n’êtes pas sans savoir l’état critique dans lequel elles se trouvent, les alertes ont été fortes et diverses. Vous vous rappelez certainement les signaux sans ambiguïté lancés en mai dernier par Bruno Le Maire puis par la Commission européenne, le FMI, les agences de notation, sans compter les experts et organismes qualifiés en ce domaine.

Vous ne pouvez donc pas ignorer la question du remboursement de la dette (plus de 3 000 milliards d’euros), des dépenses publiques qui n’en finissent pas d’augmenter (57 % du PIB), d’un déficit abyssal qu’il faut cesser de combler par l’emprunt (5,5 % du PIB), ou bien encore d’une pression fiscale devenue insupportable (près de 45 % du PIB).

Vous n’êtes pas non plus sans savoir que les multiples chocs économiques, sociaux, sanitaires, géopolitiques, écologiques, qui s’accumulent menacent nos finances publiques et par conséquent l’équilibre général de notre société. Vous savez aussi, outre que les finances de l’Union européenne sont porteuses d’enjeux vitaux pour la France, qu’il nous faut éviter les sanctions de la commission. Et puis, n’oubliez pas que les marchés financiers et plus généralement les investisseurs ont besoin d’avoir confiance dans votre capacité à gérer efficacement les finances publiques.

Plus encore. Vous allez avoir à assumer un monde qui s’inscrit dans une logique du mouvement, de l’incertain, de la réforme permanente. Dans ce contexte votre capacité à gouverner les finances publiques, face au défi de la complexité, constitue un enjeu fondamental. Aussi, non seulement vous aurez à régler la question de la soutenabilité de la dette publique mais il vous faudra également réinventer un modèle solide de gouvernance financière publique aujourd’hui déstructuré et à bout de souffle, autrement dit le repenser et le reconstruire pour un État en pleine mutation dans un monde hyperfragile.

En effet, dans la foulée d’une critique radicale de l’État inter- ventionniste des années d’après Seconde Guerre mondiale, les finances publiques se sont trouvées embarquées dans un mouvement de déstructuration d’un modèle bâti au fil du temps qui avait fini par trouver une forme d’équilibre. Il existait alors une certaine cohérence, entre le modèle de gouvernance financière publique et le marché. Or, la crise économique des années 1970 a suscité une interrogation sur l’efficacité de cet État qui se posait comme un décideur, ayant la maîtrise du calcul économique, se situant au-dessus de la mêlée, et agissant souverainement au mieux des intérêts bien compris de la collectivité. Ce postulat a été démenti par son incapacité à résoudre la crise puis remis en cause par l’évolution de la société. Les rapports de subordination ont, de plus en plus, laissé place à des rapports de négociation entre acteurs détenant chacun des pouvoirs dans leur sphère, mais recevant leurs informations et élaborant leurs stratégies au sein d’un ensemble se modifiant et se recomposant sans cesse. Dans ce contexte, la défiance vis-à-vis de l’État régulateur de l’économie a fait des finances publiques, fer de lance des politiques interventionnistes, la cible de toutes les critiques. Il en est résulté un système financier public hétérogène dont la cohérence est particulièrement aléatoire.

C’est pourquoi vous devrez rebâtir et redonner un sens au système financier public, un système qui comprend les finances de l’État, des collectivités locales et de la sécurité sociale. N’écartez pas la nécessité d’instituer une régulation globale visant à faire participer à sa soutenabilité ces trois catégories. Il est crucial que soient mis en place un partage des informations ainsi qu’un lieu de coordination des décisions susceptibles d’être prises. Cet impératif a souvent et depuis des années été envisagé mais n’a jamais été concrétisé sinon sous la forme de brèves conférences jamais pérennisées.

Peut-être pensez-vous que les finances publiques sont d’une complexité si considérable que seuls des experts peuvent les comprendre. D’une manière générale elles pâtissent d’une image négative, voire rébarbative qui fait obstacle à leur compréhension non seulement pour le citoyen mais aussi pour nombre de ses représentants. Mais détrompez-vous. Les moyens fournis aujourd’hui par l’IA permettent de surmonter bien des obstacles techniques, économiques ou juridiques qui les concernent. Elles sont avant tout soumises à des choix politiques car elles sont un fait de société. Toutefois, méfiez-vous des jugements faciles, voire même simplistes, qui relèvent d’à priori idéologiques parfois les plus éculés, répétés d’années en années.

Enfin, non seulement elles constituent le noyau dur et l’énergie des pouvoirs politiques, leur bonne santé en détermine la puissance, mais elles sont par ailleurs des conditions fondamentales pour la croissance économique, pour la qualité de la démocratie et pour l’affirmation de la souveraineté de l’État. Autrement dit le bien-être de tous en dépend en très grande partie.

Ainsi, Mesdames et Messieurs les députés ne négligez pas les finances publiques, il y va de l’avenir de la France et des Français.


Michel BOUVIER 

RFFP n°167 - Sommaire

Quelle pertinence du modèle fiscal actuel ?

RFFP n° 167 – Septembre 2024

Éditorial : Mesdames et Messieurs les (nouveaux) députés ne négligez pas les finances publiques, il y va de l’avenir de la France, par Michel Bouvier ... V

QUELLE PERTINENCE DU MODÈLE FISCAL ACTUEL ?

L’essor de la contractualisation en droit fiscal français, par Marie-Christine Esclassan ... 3

Quelle légitimité de l’impôt ? Quelle légitimité de l’État fiscal ? Quel nouveau modèle fiscal pour quel nouvel État ?, par Michel Bouvier ... 21

Quelle fiscalité écologique ?, par Jean-Baptiste Blanc ... 43

Le principe du consentement à l’impôt est-il effectif ?, par Marine Michineau ... 49

Impôt sur le revenu et principe de progressivité : une réalité ?, par André Barilari ... 59

La justice fiscale selon John Rawls et Philippe Van Parijs : deux théories proches aux traductions politiques divergentes, par Benoît Jean-Antoine ... 69

L’impôt négatif : une approche pragmatique, par Marc Wolf ... 83

L’enjeu démographique et la dette publique, par Michel Bouvard ... 99

Jusqu’où financer par l’emprunt ?, par Jacques de Larosière ... 107

La dette écologique est-elle légitime ?, par Jean-Marie Monnier ... 113

Le regard de l’entreprise, par Philippe Thiria ... 123

La fiscalité du patrimoine est-elle une solution légitime ?, par Jean-Raphaël Pellas ... 129

• CHRONIQUE D’ÉCOLOGIE FINANCIÈRE PUBLIQUE

La taxonomie verte : un outil financier au service de la transition écologique. Le cas du Bassin méditerranéen, par Robin Degron ... 145 

Les principes budgétaires, freins à la transition écologique ?, par Fabien Bottini ... 155

La planification écologique à l’épreuve des principes constitutionnels budgétaires et financiers, par Hugo Avvenire ... 167

CHRONIQUE FISCALE

La définition de l’impôt par Gaston Jèze : le jeu des huit différences, par Léo Garcia ... 187

Les idées fiscales de Friedrich Hayek, par Bernard Quiriny ... 203

Réflexions sur la spécificité de la grille d’analyse de la lucrativité des activités menées par les personnes publiques, par Florent Rombourg ... 215

• CHRONIQUE DE GOUVERNANCE FINANCIÈRE PUBLIQUE COMPARÉE

Les conventions de financement dans les États africains francophones, par Djibrihina Ouedraogo ... 231

La « Constitution financière » de la Slovaquie : aspects nationaux et locaux, par Marian Giba ... 251

• CHRONIQUE BIBLIOGRAPHIQUE

I. – Comptes rendus d’ouvrages, par Jean-François Boudet, Xavier Cabannes et Jean-Bernard Mattret ... 267

II. – Vient de paraître ... 279 

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