Le débat actuel sur le maintien des notes à l'école s'articule autour de deux grandes questions: 1- Les notes sont-elles toujours le reflet de la qualité du travail produit et 2- les notes ne sont-elles pas parfois contre-productives? Cette interrogation peut être transposée dans le secteur public local, qui voit depuis quelques années se multiplier les classements et autres palmarès. Si ces derniers présentent un intérêt certain, ils demeurent trop souvent fondés sur des indicateurs à la pertinence contestable.  

 

Nos collectivités sont régulièrement pointées du doigt, comparées et classées sur la base d'indicateurs divers et variés, que ce soit par la presse généraliste ou spécialisée, des fondations ou encore des agences de notation.

Certes, le chiffre présente un incontestable intérêt dans le débat public. Il y fournit une clé d’entrée aux citoyens et est en ce sens un véritable outil démocratique. Il permet également de contester de façon productive des références existantes, non dans leur fondement mais dans leurs modalités de calcul : on pourra évoquer ici le « panier du maire » produit dans les années 2000 par l’Association des Maires de France (AMF) et Dexia, visant à questionner le calcul de l’inflation intégrée dans l’indexation de la dotation globale de fonctionnement. Enfin et surtout, le recours au chiffre permet d’économiser une denrée rare de nos jours, pour les analystes comme pour les décideurs : le temps.

 

Néanmoins, sans précisions et précautions méthodologiques, l’exploitation de ces indicateurs peut se révéler malheureuse.

 

Résumer un phénomène complexe (stratégie fiscale, organisation des ressources humaines, politique publique, etc.) en une valeur unique et simple n’est jamais une opération neutre et aboutit presque toujours à des comparaisons ou des classements contestables. Le taux d’un impôt local ne dit pas tout de la pression fiscale pesant sur les ménages. L’appréciation des dépenses de personnel n’a de sens qu’après un sérieux travail de consolidation intégrant l’ensemble des agents externalisés (établissements publics et autres partenaires, prestataires, etc.). Et tout cela est encore plus compliqué quand les conventions permettant de bâtir un indicateur fluctuent dans l’espace et dans le temps. Ces considérations sont naturellement bien connues par les utilisateurs des chiffres, mais plus rarement par les usagers des services publics qui en sont les destinataires.

 

Plus grave, l’accent médiatique mis sur un indicateur peut pousser les décideurs publics à opter pour des stratégies contraires à l’intérêt général. Si, tous les ans, les communes sont classées sur la base des taux d’imposition votés, la tentation sera forte de recourir à une modulation de l’assiette et non du taux pour augmenter le produit perçu sans s’exposer à une « mauvaise note ». Or, pour la taxe d’habitation, quand une hausse du taux aboutit à une augmentation à peu près proportionnelle de l’impôt demandé à chaque contribuable, une baisse des abattements consentis aboutit quant à elle à une augmentation forfaitaire particulièrement inéquitable. Comme le disait l’économiste Charles GOODHART, « quand une mesure devient une cible, elle cesse d’être une bonne mesure ».

 

Il est naturellement illusoire d’espérer ou d’appeler à la fin des classements et autres notations dans le secteur public local. La dictature du temps instille la dictature du chiffre, c’est ainsi. Le plus frustrant, une fois ce constat posé, c’est ce sentiment qu’une organisation ou une société qui serait suffisamment mature pour bien employer le chiffre (temps, culture – bagage nécessaire à l’analyse dudit chiffre) n’en aurait paradoxalement presque plus besoin.

 

Thomas Eisinger

Directeur adjoint des finances et du contrôle de gestion, Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur

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