Compte-rendu du colloque « Crise des finances publiques et évasion fiscale »
du vendredi 15 novembre 2013
Michel Bouvier, Professeur à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Président de l’Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP), a souhaité exprimer ses remerciements au Président du Sénat, Jean-Pierre Bel, pour avoir accepté d’apporter son haut patronage à ce colloque et de l’avoir accueilli dans les locaux prestigieux du Palais du Luxembourg. Il a également adressé ses remerciements à la délégation canadienne de l’Association de planification fiscale et financière (APFF) ainsi qu’à Me Maurice Mongrain, Président-directeur général de l’APFF, et à Me Chantal Jacquier, Présidente du comité de la Revue de la planification fiscale et financière de l’APFF.
L’Ambassadeur du Canada en France, Lawrence Cannon, a rappelé les risques que la crise de 2008 a fait peser et continue de faire peser sur les finances publiques et a souligné que l’évasion et l’évitement fiscal ont non seulement un impact négatif en termes de recettes mais qu’ils tendent également à miner la confiance au sein des pays. La représentante du Délégué général du Québec à Paris, Madame Houdet, revenant sur les difficultés soulevées par l’évasion et l’évitement fiscal, a salué l’initiative de FONDAFIP et de l’APFF d’organiser ce colloque. Me Maurice Mongrain a souligné les enjeux financiers communs à la France et au Canada. Le Professeur Michel Bouvier a enfin rappelé que la question de l’évasion fiscale au sens large renvoie aussi bien à celle de l’équilibre budgétaire qu’à celle de la justice fiscale.
Dans un premier rapport introductif, Suzanne Landry, Professeur à l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal, Membre du conseil d’administration de l’APFF, a présenté les réformes réalisées au Canada en matière de lutte contre l’évasion et l’évitement fiscal et a indiqué qu’une étude en cours de réalisation sur « l’agressivité » fiscale des sociétés canadiennes révèle que le taux d’imposition effectif de ces sociétés est bien inférieur au taux d’imposition légal au Canada. Dans un second rapport introductif, le Professeur Michel Bouvier a plus particulièrement insisté sur le fait que la lutte contre l’évitement de l’impôt appelle un changement de conception de notre modèle de société, confronté à l’évolution du monde et notamment au phénomène de globalisation.
La première table-ronde, présidée par Me Chantal Jacquier, était consacrée à la lutte contre l’évasion fiscale en tant qu’impératif pour la soutenabilité des finances publiques. Jean-Marie Monnier, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Aurélien Beleau, doctorant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ont montré comment les économistes appréhendent la question de l’évasion fiscale. Gilles Larin, Professeur et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, dans sa présentation préparée en collaboration avec Lyne Latulippe, Professeur à l’Université de Sherbrooke, a commenté la situation des finances publiques au Québec et au Canada. Il a indiqué les facteurs associés à l’évasion et à l’évitement fiscal abusif et a précisé quels étaient les mécanismes de contrôle existants, dont l’application se fait progressivement selon le niveau de conformité des contribuables, lequel niveau est toutefois difficile à déterminer lorsqu’il est question d’évitement fiscal. Edouard Marcus, Sous-directeur de la prospective et des relations internationales à la Direction de la législation fiscale, est revenu sur les moyens mis en œuvre en France pour lutter contre l’évasion fiscale, notamment en matière de TVA dans le cadre de la lutte contre les carrousels, et a souligné que, dans l’Union Européenne, même s’il existe une coopération étroite entre les États membres avec des échanges d'information, la liberté de circulation rend la lutte contre l’évasion plus difficile. Pascal Saint-Amans, Directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, a rappelé que l’OCDE lutte depuis de nombreuses années contre l’évasion fiscale et qu’elle est à l’origine d’avancées notables dans ce domaine, avec un net essor ces dernières années de conventions d’assistance et d’échanges d’information entre les États.
A l’occasion de la pause déjeuner, Me Chantal Jacquier a tiré parti d’un passage des Voyages de Gulliver sur les précédents judiciaires au XVIIIe siècle pour expliquer brièvement comment, en common law, la règle du précédent a évolué jusqu’à nos jours au Royaume-Uni et au Canada, et pour commenter deux décisions récentes de la Cour suprême du Canada en matière fiscale à cet égard.
La deuxième table-ronde, présidée par André Barilari, Inspecteur général des finances honoraire, Vice-président de FONDAFIP, portait sur les nouvelles figures de l’évasion fiscale. Jean-Pierre Lieb, Chef du service de la fiscalité de la Direction Générale des Finances publiques, a rappelé trois principaux facteurs qui favorisent et confortent certains montages agressifs : l’instabilité des normes qui favorise le contournement de la loi, la compétition fiscale avec l’existence d’États non coopératifs et enfin les nombreuses entraves à l’autonomie fiscale des États comme les zones de libre-échange. Agathe Simard, Directrice de l'intégrité et de la recherche en matière de planification fiscale agressive à Revenu Québec, a présenté les mesures fiscales que le Québec a récemment introduites afin de déceler les planifications fiscales agressives auxquelles il doit s’attaquer. Elle a indiqué que la concurrence fiscale est présente même à l’échelle canadienne et que c’est un enjeu auquel le Québec doit faire face. L’échange d’informations et la collaboration entre les juridictions sont essentiels et des actions concertées peuvent en conséquence être entreprises. Me Nathalie Goyette du cabinet d’avocats Wilson et Associés à Montréal est revenue sur la distinction entre évasion fiscale et évitement fiscal au Canada : l’évasion relève du droit criminel et consiste à éluder l’impôt par des procédés illégaux; l’évitement consiste à obtenir, par une planification fiscale, un résultat qui n’est pas conforme à l’objet de la loi ou qui est abusif. Elle a fait état des moyens développés par le Québec et le Canada, ainsi que des doctrines judiciaires élaborées par les tribunaux, pour contrer tant l’évasion que l’évitement fiscal. Charles Guené, Vice-président du Sénat, a montré comment l’économie numérique tend à favoriser la logique de l’évasion fiscale, par exemple en découplant le lieu du service rendu et le lieu d’implantation de l’entreprise. Il a rappelé que plusieurs pistes sont actuellement à l’étude en France comme la mise en place d’une taxe sur la publicité en ligne.
La troisième table-ronde, qui était présidée par le Professeur Marie-Christine Esclassan, Secrétaire générale de FONDAFIP, portait sur les nouveaux modes de prévention et de répression de l’évasion fiscale. Sébastien Jeannard, Maître de conférences à la Faculté de droit de Poitiers, Trésorier de FONDAFIP, a présenté l’état de la coordination de la lutte contre la fraude fiscale au sein de l’Union européenne et a souligné que si de nombreux instruments ont été mis en place, notamment par la directive UE du 15 janvier 2011, des lacunes demeurent. Olivier Fouquet, Président honoraire de Section au Conseil d’État, a insisté sur le fait que contrairement aux idées reçues, la sécurité fiscale et la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales sont parfaitement compatibles. A cet égard il a déploré l’instabilité fiscale qui conduit à complexifier le système fiscal français et à introduire davantage d’inégalités entre les contribuables. Jean-Raphaël Pellas, Professeur à l’Institut supérieur du Commerce, Chargé de mission à FONDAFIP, a procédé à une présentation des nouveaux instruments de répression contre la fraude fiscale en France, notamment la pénalisation de la fraude fiscale et la rationalisation des pouvoirs de contrôle de l’administration fiscale. Jérôme Michel, Maître des requêtes au Conseil d’État, après avoir préalablement rappelé que le juge administratif n’est pas un juge répressif, au contraire du juge pénal, mais celui de la légalité de l’impôt, a souligné que le juge administratif veille à trouver un équilibre entre la nécessité de réprimer la fraude fiscale et la protection des droits fondamentaux. Marc Noël, Juge à la Cour d’appel fédérale au Canada, a illustré, à l’aide des décisions rendues par la Cour suprême du Canada, comment la règle générale anti-évitement édictée par la loi a été jusqu’ici interprétée et appliquée au Canada. Il en a conclu que la vraie vocation de la règle générale anti-évitement est peut-être de permettre aux tribunaux de colmater les brèches législatives évidentes que le contribuable choisit d’exploiter.
A l’issue des travaux du colloque et des questions posées par l’assistance, le Professeur Marie-Christine Esclassan a annoncé que les Actes du colloque seront publiés dans la Revue Française de Finances Publiques et dans la Revue de planification fiscale et financière de l’APFF.
Compte-rendu rédigé par Solène Le Moal, Emilie Moysan et Carine Riou